Je vais devenir dingue...

Cela fait quelques mois qu'on se connait maintenant toi et moi... Quelques semaines ou quelques jours, pour les tous derniers arrivés (bienvenue !). Tu te souviens que j'ai un petit problème avec le rangement, l'achèvement des choses et la symétrie.

Que je suis frappée, quoi. Si, quand même, tu es gentil de dire "non, pas tant que ça", je sais que tu dis ça pour me faire plaisir mais je suis assez lucide sur mon cas. Pas irrécupérable, mais bien atteinte. Alors imagine qu'en ce moment, je suis à deux doigts de devenir dingue et je me demande si ce n'est pas la manière trouvée par Chouchou pour se débarrasser de moi.

Il n'essaye pas de mettre du tue-souris dans mon thé du matin (de toute façon, c'est moi qui le fait le thé) ou de couper les freins de ma caisse (déjà qu'il veut pas changer une ampoule quand je suis borgne d'un phare). Non, il a décidé de m'user à petit feu, sournoisement.

Dans ma cuisine, j'ai une grande table de 2 mètres de long. Elle nous sert de table pour les repas, de plan de travail, de bureau, de bibliothèque aussi et de vide-poche. Sur cette table indispensable à la vie de la famille, en ce moment, est posé une trancheuse à jambon manuelle, italienne. Un truc énorme avec un volant à inertie qui occupe un bon tiers de la surface utile de ladite table (sur le dessus, donc, pas dessous). Je ne suis pas certaine de l'intitulé de l'objet mais ça ressemble une machine de Jules Verne ou à un engin de torture moyenâgeux. C'est un très bel objet, rutilant de chrome et qui fait un effet bœuf auprès des clients du restaurant (sa maison de d'habitude). Car cette machine ne nous appartient pas, elle est la propriété d'un resto-ami où nous avons nos habitudes, la résidence secondaire de Chouchou en quelque sorte. Et elle est un peu cassée. Chouchou, n'écoutant que son amitié et sa générosité, et sans m'en parler bien entendu, a proposé au copain de la prendre pour "y regarder". Chouchou est très bricoleur, mais pas pressé.

Le truc est sur MA table de cuisine depuis TROIS SEMAINES. Tu y crois toi ? Tu penses à quel point voir ce truc trôner là, à moitié démonté, sans espoir apparent de guérison, me retourne l'estomac, moi pour qui chaque chose doit avoir une place définie. J'ai bien esquissé quelques phrases suivies de point d'interrogation pour connaitre le comment et surtout le quand. J'ai abandonné le pourquoi sous peine de passer pour une égoïste ingrate qui ne veut pas aider les amis dans le besoin. Je l'aime bien le copain, j'aime bien son resto, mais là, ça dépasse ma capacité d'être accueillante.

Chouchou a regardé l'engin au tout début, a même un peu démonté des morceaux et depuis, plus rien. S'il n'y arrive pas, à la réparer, il n'a qu'à le dire ! Il la rend au copain en disant "désolé, je vois pas d'où ça vient". Et basta. Mais je pense que Chouchou n'est pas comme ça. Encore une histoire ancestrale de chasseur de mammouths qui ne peut pas renoncer, sous peine de passer pour une couille-molle. Mais mon Chéri, je sais bien que t'es pas une couille-molle, maintenant, rapporte la machine s'il te plait. J'en peux plus de la voir. A chaque fois que mon regard se pose dessus, je flippe.

Peut-être que je pourrais la mettre sur Le Bon Coin, pour la vendre "en l'état" ? Non, ça se fait pas de vendre un truc qu'on t'a prêté, c'est un peu limite question amitié.
Ou je peux la rapporter moi-même au resto ? Mais je ne peux même pas la soulever, c'est au moins en fonte, ça pèse trois cents kilos ce bordel.
Je vais retenter une petite phrase d'une voix cristalline pour savoir si une issue est proche. Il va me répondre "demain", ce qui en langage de Chouchou signifie tout sauf ça, mais plutôt "trois semaines" ou "trois mois", en fonction de la position de l'accent tonique.

Ou sinon, je vais commencer à faire mes valises pour quitter définitivement cet endroit malsain.
Ou sinon, je vais arrêter de passer par la cuisine.
Ou sinon, je vais me faire soigner.