5 mars 2017

Lettre à mon Amie Chère



Ma très chère Amie,

Te souviens-tu de notre première rencontre ? Elle s'était faite un peu fortuitement, un peu par hasard, ou peut-être grâce au destin. C'était il y a dix ans environ. Très vite, nous avons passé beaucoup de temps ensemble et sommes devenues très proches.


On en a partagé des trucs ensemble. Plusieurs fois, nous sommes parties en vacances, on s'est baladé en Normandie, en Bretagne, dans le Périgord, on est allé plusieurs fois en Corrèze, le long de la Dordogne, ramasser des girolles. On est allées en Espagne, en Belgique, en Italie. Ah, les vacances en Italie... Tu te souviens ? On ne savait pas où on dormirait le soir mais finalement, on a eu de la chance, à part le soir où on a atterri dans un camping près d'un lac, plein de moustiques et de grenouilles qui se croyaient à une rave-party. Nous sommes revenues avec plein de souvenirs : du parmesan, du vinaigre balsamique, de la charcuterie. C'était bien l'Italie.

Quand j'y pense, notre relation s'est surtout construite sur les petits riens du quotidien. Je savais que je pouvais compter sur toi chaque jour et c'était bon de se sentir épaulée, surtout quand dans ma vie à moi, ça a commencé à partir en sucette. Tu m'aidais à comprendre que malgré tout, j'étais libre. Et puis, tu étais toujours là quand j'avais besoin d'un coup de main ! Je sais que les tours à la déchetterie, c'était pas marrant, mais tu as toujours proposé ton aide. Merci mon Amie.

Tu m'apportais ta chaleur, tu acceptais sans rechigner mes monologues parfois bougons, mon humeur endormie du matin. Tu ne disais rien quand je chantais à tue-tête It's raining men, allelujah. Tu m'acceptais telle que j'étais. Moi aussi d'ailleurs, avec tes quelques défauts.

Un jour, tu es tombée malade. J'étais très inquiète mais grâce à bon traitement, tu as réussi à reprendre des forces et à te retaper complètement. Le médecin t'a dit qu'il fallait te ménager, ne plus partir comme ça, au pied levé, n'importe où, faire un peu plus attention. J'ai dit qu'il avait sûrement raison, qu'il fallait bien l'écouter. 

Au moment du grand bouleversement dans ma vie, quand j'ai quitté le père de Crapaud-poilu, à ce moment-là, tu étais là. Tu m'accueillais pour éponger mon chagrin, avec toi, je savais que je pouvais me laisser aller sans crainte. Tu as été d'une aide précieuse lorsque j'ai finalement quitté la maison. On a transporté mes p'tites affaires, les cartons, la planche à repasser, des chaises, la télé. Finalement, c'était plus facile avec toi.

Un jour, je t'ai blessée et ça m'a rendu triste. Tu sais, hein, tu le sais que je n'avais pas fait exprès? Je me suis excusée et pour la peine, je t'avais offert une nouvelle robe. Tu ne m'en as pas voulu, tu pardonnes toujours.

La dernière fois que tu es allée chez le médecin, il a décelé une nouvelle maladie. Et cette fois, c'est vraiment mal barré. C'est venu après ce gros refroidissement cet hiver, tu avais eu du mal à t'en débarrasser. J'étais tellement inquiète. Toi, mon Amie, ma chère Amie, tu es finalement presque au bout de ta vie... Je ne saurais dire à quel point ça me touche, on a partagé tellement de choses ensemble.

Finalement, tu m'as fait comprendre que c'était dans l'ordre de choses, et que maintenant, j'étais bien accompagnée. Mon Amoureux est à mes côtés, c'est lui qui m'aide et me protège désormais. Crapaud-poilu est bien dans sa vie et il prend soin de moi aussi. Alors, je dois te laisser partir...

Ça me rend malade, je pleure beaucoup, beaucoup trop, mais on a tellement de souvenirs ensemble. Tu es comme mon double, costaude et accueillante, jamais offusquée lorsque je ramène du monde et que ce n'était pas prévu.

Comment vais-je faire sans toi ?... Tu auras toujours une place dans mon coeur, on aura partagé dix ans ensemble, dix ans de quotidien, toi, moi, et la route. 

Au-revoir ma Grosse Bleue.

J'ai l'âme en peine et des larmes à chaque fois que j'y pense. Mes autres Amies me regardent d'un air bizarre quand j'en parle, je crois qu'elles ne comprennent pas notre relation, peut-être sont-elles un peu jalouses. Elles disent que tu n'es qu'un objet, finalement. Oui, bien sûr.
Comment pourraient-elles saisir ce lien bizarre qui nous unit ? Comment pourraient-elles comprendre à quel point ça a été dur lorsque que tu m'as aidée à partir de chez moi et que tout ce que j'avais, c'était toi et ce que tu contenais ? 
Elles ne peuvent pas savoir que c'est grâce à toi que Crapaud-poilu est un super bon conducteur aujourd'hui, même s'il nous a fait des frayeurs, hein, tu t'en souviens ?

J'en ai parlé à la psy l'autre jour. Je me suis effondrée, en pleurs. Je crois que je n'ai jamais autant pleuré depuis que je vais la voir. Un comble alors que nous avons parlé de choses autrement plus profonde. Elle n'a pas ri, elle a compris. Elle m'a dit que nos souvenirs, on les aurait toujours, même si on ne se voyait plus. Même si c'était la fin. Elle a dit que c'était normal que ce soit si dur, que ce n'était pas toi, en tant qu'objet, mais tout ce que tu représentes ou tout ce que tu as représenté.

Adieu ma Grosse Bleue. Tu vas rejoindre le paradis des voitures, je sais que tu y auras une belle place, parce que tu as toujours été là, accueillante, bienveillante et que tu n'as jamais fait de mal à personne, sauf peut-être à un étourneau suicidaire il y a quelques années. Là-haut, tu pourras leur raconter la route, les paysages dingues que tu as traversé, les levers et les couchers de soleil, les chevreuils dans le champ près du petit bois, la chouette effraie le soir sur la route de l'ancienne maison, tu leur raconteras la pluie, le gel, le vent et le soleil brûlant. Et tu en auras des choses à leur raconter, avec tes 327 000 kilomètres au compteur.

Il ne nous reste plus que quelques jours à partager ensemble. Et avant l'arrivée de ma nouvelle amie, celle qui, bien sûr, ne prendra jamais toute la place que tu avais dans mon coeur, chaque jour d'ici là, je vais continuer à compter sur toi. Je sais que lorsque je vais te laisser, j'aurai l'âme en miettes. Ma nouvelle amie sera complètement différente de toi, comme ça, je ne vous confondrai pas. Je vais faire une nouvelle place dans mon cœur pour elle, mais la tienne sera toujours là.

Adieu ma Grosse Bleue.




45 commentaires:

  1. Reine5/3/17

    RIP GB !
    J'ai eu la chance de la connaître et de me faire transporter par elle....une gentille ,et qui t'allait bien , la Blonde ...gironde , sympa , sans chichi, .et une jolie couleur bleue pas vraiment bleu marine ...classique et apaisante... .c'est sûr qu'elle va pouvoir en raconter des choses !!
    bises

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  2. Fredix5/3/17

    Je te comprends tout à fait !

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  3. Smouik5/3/17

    Fais des photos souvenirs ! Genre road trip aux US ou comme tu voudras, avec son médecin à côté ou dessous, avec toi dedans, dessus, bref...

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    1. Madame H6/3/17

      C'est exactement ce que j'ai fait avec ma grosse grise à moi avant de devoir m'en séparer après 10 ans de vie commune : des tas de photos ! (le type du garage où je l'ai laissée a un peu halluciné mais bon, j'assume !)

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    2. Ouais, je vais faire des photos pour les montrer à un jour à mes petits enfants ;-)

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  4. “Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?”

    Je me demande à quelle grosse bleue Lamartine pensait en écrivant ces mots ? ;-)

    Dis, nous raconteras-tu les premiers km avec son héritière ?

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  5. Anonyme6/3/17

    Bon voyage La grosse bleue !
    Tu aurais pu en faire faire une compression pour décorer ton jardin ;-), bon je suis sûre qu'elle va faire plein d'heureux avec ses pièces de réemploi.
    J'ai hâte de tout savoir sur la suivante, est-ce qu'elle sent la voiture neuve ?
    Des bises

    Ariane

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    1. Ouais, elle va sentir la voiture neuve, je ne l'ai pas encore...

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  6. Un très bel hommage à une compagne du quotidien, une aide, un refuge… c'est long dix ans, ça en fait de belles histoires…

    Restent les souvenirs.

    Petite tape amicale sur le capot de la Grosse Bleue.

    <3

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  7. Si c'est pour aller à la casse pense à enlever une plaque ou un rétro... un souvenir quelconque !
    Pourquoi pas le miroir de courtoisie où tu as du te maquiller, sécher tes larmes, te recoiffer, sourire ?
    Bises

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    1. Mamina, en plus des paroles de réconfort, elle a toujours des idées en or...
      Pis tu gardes sa plaque pour décorer un mur du jardinet de la bicoquillette. ...

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    2. Madame H6/3/17

      OH mais oui tu as raison Mamina, j'aurais du faire ça avec ma grosse grise (regrets-soupirs)

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    3. Fabignou6/3/17

      Oh mais oui, le rétro central, ce serait super ! Je suis sûre que tu peux bricoler un truc, le fixer sur un morceau de bois pour continuer à l'utiliser !

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    4. J'ai déjà la précédente plaque dans mon garage, celle d'origine, avec le 17 en plus ;-)
      Et oui, je vais réfléchir au coup du rétro !

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  8. DOMINIQUE6/3/17

    Hé oui, je comprends si bien... il y a des années et des années, j'ai eu une vie fusionnelle avec une 205 GTI. On a tout vécu, notamment au moins 20 000 km dans Paris... on prenait la place de l'Etoile sans frémir (c'est simple, en fait, tu fonces tout droit sans regarder autour de toi), la Concorde les doigts dans les enjoliveurs, et les rues étroites sans problème, je suis sûre qu'elle retenait son souffle pour ne pas accrocher.
    On l'a vendue, et elle a fini sa vie, une semaine après, dans un mur (le conducteur n'a rien eu).
    D'après moi, elle n'a pas supporté notre séparation.

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    1. Smouik6/3/17

      C'est magnifique ce drame de la 205 qui se suicide en se jetant contre un mur parce qu'elle ne supporte pas la séparation ! Quasi Shakspearien...

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    2. Smouik6/3/17

      *ShakEspearien, c'est mieux ;-)

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    3. DOMINIQUE6/3/17

      T'as raison, Smouik, "quasi" Shakespearien... les 205 étaient relativement rares à l'époque !

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    4. Quelle histoire incroyable... Ça a dû te faire drôle quand même !

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  9. j'ai versé ma larme aussi quand ma petite corsa bleue a été emmenée par le gros camion de la casse... ma 2eme voiture (mais la 1ere n'avait pas fait long feu), celle des vacances entre copines, des déménagements étudiant, des virées entre potes, des pannes qui font des souvenirs, et oui, des champignons qui poussaient sous le tapis de sol et qui avait une coquille d'huitre dans le pare-chocs (elle venait du 17 :) )
    courage !!! moi depuis j'enchaine les corsa par contre, je ne veux que ça, même à présent que je suis maman, je garde ma corsa "gris dauphin"

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    1. Reine6/3/17

      Trop mignon, la coquille d'huître dans le pare-choc !

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    2. Je kiffe les champignons et la coquille d’huître ! C'est ça qui fait une voiture unique !

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  10. Hahaha ! (oups pardon)
    Ta psy a raison, elle ne mourra jamais ta GB, tant que tu l'auras dans tes souvenirs.
    Et je note au passage que l'expression "le père de Crapaud Poilu" plutôt que d'autres est rentrée dans ton vocabulaire :)

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    1. Kaylee6/3/17

      Ah oui �� j'ai noté aussi !
      Tu vois, on s'y fait.

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    2. C'est parce que j'écoute vos conseils et que je m'y emploie à chaque fois. Mais c'est pas encore tout à fait ça tout le temps.

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  11. Chris (aka Paquita Chocolatera)6/3/17

    Pour voir le bon côté des choses, il y aura certainement des greffes d'organes qui feront que ta GB continuera de vivre au travers d'autres !
    Je n'ai pas vécu d'histoire d'amour aussi forte avec ma petite Renault 5 beige même si grâce à elle j'ai pu goûter à la liberté d'aller dans mon sud sans dépendre de qui que se soit en ne prenant pas l'autoroute (putain 15 h de route), d'aller à la plage quand je voulais comme je voulais, de donner le volant à mon cousin préféré lorsqu'il a eu son permis.
    Par contre, je suis contente que mon frère ne se soit jamais séparé de sa première voiture, une 4L, que j'ai conduite (et accidentée une fois) car nous faisions les 400 coups avec (genre il conduit, je passe les vitesses), elle nous emmenait en montagne lentement mais sûrement et avait le pneu sûr sur les petits chemins caillouteux.

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    1. Tu savais que ma première voiture était une 2 CV ? Elle aussi j'ai pleuré à son départ, mais je l'avais gardée beaucoup moins longtemps...

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  12. Anonyme6/3/17

    ça fait deux fois.

    Ta sérénissime.

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    1. DOMINIQUE7/3/17

      Je crois savoir.

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    2. Ben dis quoi, Domnique ;-)

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    3. DOMINIQUE7/3/17

      Je ne veux pas parler à la place de notre Sérénissime adorée, mais tu nous as déjà fait le coup du drame qui aboutit à... disons quelque chose de poignant, mais de plus anodin !

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    4. Anonyme17/3/17

      C'était pas à propos de poubelles, d'ailleurs?

      (Poutous,
      tatapouffe)

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    5. Promis, je recommencerai plus.

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  13. Chez nous aussi, la séparation avec la Twingo verte a été difficile. Moi aussi, j'ai pris plein de photos chez le garagiste et j'ai versé ma petite larme. En plus, j'ai un toc, un truc idiot. J'adore quand le compteur kilométrique affiche 33333 ou 77777. Je me souviens du 22222, je suis allée chercher ma fille à la gare, le 33333 c'était l'anniversaire de ma petite fille ... et on peut continuer comme ça.
    Par contre, le 66666, je n'ai pas regardé le compteur pendant 3 jours pour ne pas l'avoir sous les yeux.
    Je devrais peut être consulter !!!

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    1. Nan, pas besoin, je fais pareil et la consultation n'y change rien !

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  14. Tu vois, ton article me fait réfléchir. Moi aussi, je me sentais protégée dans ma voiture, et des fois, quand ça n'allait pas et que j'étais au volant (tu sais, un peu comme toi....), et bien j'avais comme une envie de rouler sans m'arrêter, jusqu’au bout du monde. Ça t'a fait ça toi aussi ? Et après ma séparation, pareil, quel réconfort d'être à l'intérieur, un espace familier et apaisant. Et depuis que je suis à Paris, je continue de payer son assurance alors qu'elle est à quai à la campagne, au cas où... Alors peut être que cet objet est juste une extension de nous même ? un moyen pour aller au delà de soi même : rouler plus loin, être libre, et porter les fardeaux que l'on arrive pas à gérer soi même. Bref, je sais pas.
    Mais c'est un chouette billet :)

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    1. Moi je dis que tu analyses drôlement bien tout ça. Oui, c'est une extension de moi. Vraiment.

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  15. Très joli texte encore une fois...
    Je te comprends, j'ai éprouvé ça une fois ou l'autre pour un vêtement...

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  16. Anonyme17/3/17

    Tu vois en ce moment je suis dans ma petite grise ,une vraie poubelle,mais depuis un an que je suis séparée du père de mes enfants,j ai retrouvé un travail de commerciale et nénette, malgré son âge ,ses coups ,des pannes ,chaque jour elle m aide à avancer,alors oui c est une amie précieuse....

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