La solitude du fou rire

Je repousse l'écriture de ce billet depuis des semaines. Je sens qu'il y a là un piège, un truc dont je rêve de parler, mais qui est tellement difficile à transcrire qu'au bout du compte, toi lecteur, tu vas t'emmerder et si ça se trouve, tu ne reviendras plus. Allez, je me lance, tant pis.

Crapaud-poilu a la faculté incroyable de piquer un fou-rire pour n'importe quoi. Et moi, quand mon gosse a un fou-rire, ben, je l'ai avec lui. Le fou-rire, le vrai, ce n'est pas juste une bonne poilade, c'est un truc douloureux, qui t'empêche de respirer, qui fait mal au ventre, qui fait pleurer les yeux et relâche les sphincters. Si t'es un peu ballonné au  moment du fou rire, c'est sûr que tu lâches une caisse et du coup, forcément, ça repart pour un tour.

Chez nous, le fou-rire a un ennemi : Chouchou. 

Chouchou, il déteste quand Crapaud-poilu et moi avons un fou-rire parce que je pense qu'il se sent complètement exclu. Ce qui est le cas la plupart du temps. Le fou-rire est un formidable moyen d'exclusion. Soit tu es dedans, soit tu es à l'extérieur. Quand tu es dedans, tu aimerais bien partager, sauf que tu ne peux pas parler. Et quand tu arrives entre deux spasmes à en expliquer l'origine, la personne en face, elle ne voit pas ce qu'il y a de drôle et tu te sens nul pour raconter des histoires.

"Hein, qu'est-ce que tu dis, j'ai pas compris...." Forcément, les seuls sons qui sortent de ta bouche sont des gargouillis indescriptibles.

Si tu es à l'extérieur, c'est vrai que c'est pas facile, tu regardes deux personnes, les larmes aux yeux, rouges écarlate, mais quoi faire ? Tu attends que ça se termine, te sentant seule, exclue, pas copine, celle qui ne comprend pas, celle qui ne fait pas partie de la bande. Celle qu'on aime bien, mais pas suffisamment pour l'inviter à la même table de cantine, celle qu'on aime bien mais pas suffisamment pour lui faire partager le secret qu'on a avec les autres. Js l'évier. C'est parce que Crapaud-poilu a eu cette tête inimitable, toute déformée, annonciatrice du fou rire, irrépressible. Quand j'arrive tout juste, au prix d'un effort surhumain à arrêter de rire, il suffit que nos yeux se croisent pour que ça reparte, c'est atroce.

Je suppose que tu n'es pas écroulé devant ton écran, c'est normal. Le fou-rire, c'est très personnel, finalement. Disons qu'il y a quand même des incontournables, des trucs qui marchent à chaque fois. Les trucs qui ont un lien direct avec pipi, caca, prout, forcément, les mots bégayés, les gestes maladroits.

Bon, je vais arrêter là, parce que tout ça, je sens bien que ce n'est pas très drôle. 

Juste une dernière... Crapaud-poilu avait été malade il y a quelque temps, le médecin lui avait prescrit, entre autres, du sirop. Au moment de le prendre, il me regarde très sérieusement et me dit : "ça va pas, c'est du sirop anti-tussif, et moi, je tusse pas, je tousse". Ben là, je suis partie, lui aussi. Rien que de l'écrire, ça me fait rigoler. C'est ça qui est bien avec le fou-rire, c'est le double effet Kiss cool (qui se souvient encore de l'origine de cette expression ?... Moi oui !), tu le vis, c'est terrible, tu y repenses, c'est reparti.

T'es encore là ?