Et ne plus avoir peur

Il y a quatre ans, je suis allée voir une psy. Lorsqu'elle m'a dit "Pourquoi venez-vous me voir ?", je me suis effondrée en sanglotant. Entre deux bulles de morve qui se gonflaient au rythme de ma respiration saccadée, j'ai répondu "Je viens d'avoir 40 ans et j'arrête pas de pleurer..."

Les trois années suivantes, j'ai eu 39 ans. Même certains de mes proches amis, de mes collègues, personne ne connaissait mon âge véritable. Je me répétais tout le temps "Tant que ça passe..."

Impossible pour moi d'envisager de franchir cette barrière invisible. 

La psy m'a expliqué que "crise", c'est la même racine étymologique que croisement. La crise de la quarantaine, ce n'est pas simplement une idée, c'est une réalité : on est au croisement de sa vie, au moment de se dire "Et maintenant ?..." (que vais-je faireeeeu ?) (de tout ce temps....) (etc.)

Il y a quatre ans, j'étais au croisement de ma vie avec surtout la sensation d'être dans un cul-de-sac. Pas question de fêter cet anniversaire qui me faisait basculer de l'autre côté du miroir, alors que ma vie était sans commune mesure avec celle dont je rêvais quand j'avais 20ans. "Mais d'où t'as vu que c'est une réjouissance, toi ?!" je demandais à tout le monde.

Pendant trois ans, j'ai refusé de fêter mon anniversaire "en grand", je disais gentiment merci pour les cadeaux, heureuse malgré tout des attentions de mes proches, mais sinon, mon cœur n'était qu'un petit tas de cendres.

Il y a deux ans, Ninou-ma-sœur et son chéri ont organisé un grand raout pour leurs quarante ans respectifs, avec tous leurs copains. Je venais d'annoncer à l'ex que je voulais le quitter, j'ai fait l'aller-retour en Lorraine pour partager leur joie, ça m'a fait du bien de m'éloigner un peu.

Et là, en préparant les serviettes en papier, en découpant les cakes salées et en mettant les bouteilles au frais, voyant ma sœur radieuse, j'ai eu une révélation (ça a fait comme un fussoir)... Elle, elle était heureuse dans sa vie, donc elle n'en avait rien à carrer d'avoir quarante ans. C'était juste un compte rond, l'occasion de faire la nouba avec des gens qu'elle aimait.

Moi, cet anniversaire particulier, et les suivants, m’enfonçaient plus avant dans la décrépitude et me renvoyaient au visage ma vie sans saveur.

Aujourd'hui, c'est mon anniversaire et j'ai 44 ans.

Je l'écris pour la première fois. Sans frémir.

Aujourd'hui, j'ai 44 ans, des lunettes pour voir de près depuis quelques mois, deux ou trois poils blancs sur le pubis (j'ai espacé les épilations intégrales mais je les traque, les bougres), des ridules (dont certaines ont perdu leur "ules"), l'ovale du visage moins ferme. Ça ne me fait plus peur.

Aujourd'hui, j'ai 44 ans et je n'ai plus peur, parce que ma vie, même si elle n'est pas encore tout à fait en ordre, prend un tout autre chemin et que je m'y sens bien.

Aujourd'hui, j'ai 44 ans et je n'ai plus peur parce qu'il me semble que j'ai trouvé (choisi ?) le bon chemin. Et il se trouve que j'ai pris en route un auto-stoppeur d'amour qui me rappelle tous les jours que l'âge, on s'en fout. Surtout que je suis belle, qu'il dit.

Aujourd'hui, c'est mon anniversaire et j'ai 44 ans et pour la première fois, tu as le droit de me le souhaiter si ça te chante, ça ne me collera pas une chair de poule glacée, mais des frissons de bonheur...